Publication 2024
Retour en Arcadie
Des rouges gorges, des mésanges, des huppes, des hirondelles, et toute une myriade
d’oiseaux à proximité d’un fil suspendu dans l’air, où se tient en équilibre une femme couvrant
ses yeux de ses mains. En bas, un homme debout écartant l’index de son pouce, comme s’il
mesurait une distance, un risque. Le fil s’arrête d’ailleurs à hauteur de son épaule. Allégorie de
la fragilité des relations amoureuses, où l’on suit l’autre aveuglément L’apesanteur, cette grâce
des sentiments, ne tiendrait elle qu’à un fil ? Autre oeuvre, autre fil : celui de conversations
téléphoniques en arrière plan dans des cabines d’un autre temps. Devant, l’équilibriste de la
scène précédente laisse place, dans une déclinaison circassienne à une jeune trapéziste
en justaucorps rouge, tandis qu’en bas, une femme est assise à califourchon sur un homme aux
gestes équivoques. À côté figure un centaure, symbole, pour les Grecs, des appétits animaux,
de la concupiscence et de l’ivresse, ce que laisse également supposer les verres à vin suspendus
à l ’envers.
« La peinture, disait Bacon, ne saisira le mystère de la réalité que si le peintre ne sait
pas comment s’y prendre ». À l’évidence, Marie Reilhac sait parfaitement s’y prendre pour
entretenir le mystère. Seuls quelques motifs récurrents, des attitudes, des contrastes et des échos
chromatiques, une tonalité nimbée de nostalgie permettent de lever quelque peu le voile sur
des scènes intrigantes et volontiers énigmatiques.
« Amours lointaines… » Un titre qui n’en dit pas trop, mais qui ouvre quelques
perspectives. S’agit il d’une référence discrète à la fin’amor médiévale qui porte haut la flamme
de la passion amoureuse, la maintenant à distance pour la garder intacte et pure Certaines
œuvres de la série semblent y faire allusion, comme ce cavalier, toujours vêtu de bleu, arrivant,
cheveux au vent, sur son cheval blanc, dans un intérieur où une femme accroupie s’emploie à
quelque tâche domestique. Une relecture personnelle de Cendrillon et de son prince charmant
auréolé des sentiments les plus nobles Dans l’angle supérieur droit, un tableau encadré d’une
guirlande végétale laisse apercevoir une scène pastorale où prend place un agneau, symbolisant
les vertus d’innocence, de douceur et de bonté. Ailleurs, c’est une blanche colombe qui est tenue
par une femme au bord d’un cours d’eau aux rives abondamment fleuries dans une sorte de
paradis originel sans hommes et, peut être, sans péché… Plus loin encore, une vision
désencombrée de toute ambition réaliste montre une femme rêveuse, tout de bleu vêtue, étendue
sur le même cheval blanc, sans harnais cette fois, et dont les membres semblent se prolonger en
branches feuillues, l’un et l’autre se fondant dans un ciel duveteux. S’extirper des pesanteurs
du réel, telle semble bien la voie à suivre, que ce soit dans l’observation complice avec la nature,
la douceur d’une amitié féminine, ou l’entretien du jardin de l’enfance.
Frédéric Lacoste
Enracinement et élévation
À l’heure où le nu s’exhibe sans fard ni retenue dans les méandres parfois poisseux de la Toile, il peut être salutaire de songer à une approche du corps désencombré des tentations reptiliennes de l’esprit. Nulle provocation tendancieuse ici, aucune ambiguïté susceptible de semer le trouble… Les six femmes nues, assises, debout ou accroupies, n’accordent pas la moindre attention à l’observateur du dessin. Contrairement à la Vénus du Titien ou l’Olympia de Manet, elles ne s’offrent pas comme objets de regard pour un public masculin. Vaquant à leurs occupations, conversant entre elles sur un tapis de verdure à la végétation foisonnante, elles-mêmes semblent une émanation de la nature. Orphée plutôt que Prométhée. L’empathie contemplative, le respect de l’ordre naturel des choses, au lieu de la volonté de domination et le retrait hautain dans le donjon d’une culture prédatrice. Dans des médaillons aux allures de métonymies, l’élégance d’une main ornée de bijoux et la candeur d’un oeil grand ouvert semblent les seules concessions à une féminité assurée de son pouvoir de séduction.
Plus loin, saisie en bord de mer, la semi-nudité reste empreinte d’innocence, comme le laissent entendre le motif de la balançoire, le soleil naissant à l’horizon et les deux oiseaux blancs, dont l’un est posé sur la main de l’un des personnages. Dans l’univers de Marie Reilhac, la récurrence du règne animal et végétal suggère aussi bien un enracinement et un lien avec les forces telluriques, qu’une élévation vers un idéal, comme cela était déjà visible dans la série « les paravents ». En arrière-plan, certains motifs, qui n’ont rien de secondaires, insufflent une spiritualité qui ne saurait se passer des leçons de la nature, à l’image de cette statue ayurvédique dans la posture de l’arbre, qui figure précisément la connexion entre la terre et les cieux. À plusieurs reprises, l’artiste n’hésite pas à s’attarder exclusivement sur la verticalité du tronc, contre lequel s’appuient, tournées vers lui, deux jeunes femmes cette fois totalement vêtues, ou dont les premières branches servent de promontoire éphémère à d’autres figures féminines.
Si l’escarpolette, comme le cerf-volant, part du sol pour monter dans les airs, le monde de l’art, de la danse et du spectacle permet également de s’extraire des pesanteurs d’un réel dénaturé, inapte à l’épanouissement de l’individu dans toutes ses dimensions, intérieure et extérieure. Au moment de la performance artistique, un cercle de lumière traduit cet état de plénitude et d’accomplissement de soi – qui est aussi un oubli de soi. La présence d’un cheval blanc aux côtés de la chanteuse ou de la comédienne se produisant sur scène n’est pas fortuite. Pureté, force, noblesse et élévation convergent dans cette figure hautement symbolique, que l’on retrouve dans cette scène onirique où une vestale nimbée de fleurs paraît marcher dans l’azur du ciel.
Frédéric Lacoste